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03/05/2012

Herbes sauvages...

Emilie CARLES : La soupe aux herbes sauvages

 

Bibliothèque Hachette – 1984.

21,5 x 14 cms / 395 grammes.

Reliure cartonnée imitation cuir bleu, avec titre en doré sur premier plat / tranche et photo de l’auteur sur couv’. Quelques infimes marques de stockage ainsi qu’un bas de tranche très légèrement « talé », mais tout à fait O.K, intérieur propre et sain, bon pour le service !

>>> 3,50 €uros. / Vendu ! Temporairement indisponible.   

 

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Émilie Carles, née en 1900 dans un village des montagnes briançonnaises, livre dans Une soupe aux herbes sauvages un témoignage de vie. Cette œuvre mêle d'une part des anecdotes paysannes et familiales, d'autre part les moments importants de l'enfance d'Émilie, puis de sa jeunesse marquée par le désir de poursuivre ses études pour devenir institutrice, et enfin de sa vie d'adulte où elle accomplit cette mission d'enseignement avec une conviction inébranlable. Pourtant, ce n'est pas toujours facile : Émilie doit travailler dur comme les autres paysans dès son plus jeune âge et pendant toute sa scolarité, et elle connaît plusieurs tragédies où elle perd des êtres chers. Elle se heurte également aux traditions tenaces selon lesquelles les parents préfèrent que leurs enfants travaillent aux champs plutôt qu'ils aillent en classe et aux racontars qui circulent à son sujet et qui lui causent du tort. Néanmoins, sa force de persuasion, son enthousiasme et son succès auprès des enfants lui permettent de réaliser son rêve de petite fille : enseigner dans son pays natal.

 

Ce livre est à la fois un récit simple et agréable à lire et un témoignage extrêmement intéressant sur la vie des paysans des villages de montagne pendant une grande partie du XXème siècle. Il est également ponctué d'idées marquantes sur la société et la politique en France, et notamment d'un refus farouche de la guerre et des violences sous toutes leurs formes. Enfin, tout au long de l'œuvre, l'image de la nature et des paysages de la vallée d'Émilie se forme dans l'esprit du lecteur, jusqu'au combat final pour la préservation de sa région contre les projets d'urbanisme. Le style d'écriture est très fluide : il s'agit d'une histoire racontée à la première personne en prenant des libertés dans les formes, ce qui la rend très vivante. Les dialogues et les récits rapportés, parfois même en patois, sont fréquents. Le ressenti des émotions et des épreuves traversées par la narratrice est donc très fort chez le lecteur qui se laisse facilement entraîner par l'histoire.

( Jessica Andreani / bibliopoche.blogspot.fr )  

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>>> http://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89milie_Carles

  

Morceaux choisis :

 

… Ici, les gens ne lisent rien, c'est ça le désastre. Mon père que j'adorais était de cette race-là, il n'avait jamais lu un livre de sa vie, ni un journal. Je me souviens, au moment de mon mariage c'est une des choses qu'il avait reproché à Jean, il avait dit comme l'ultime preuve de sa bonne foi : « Il lit trop. », montrant ainsi où se trouvait sa méfiance et sa peur. Comment pourraient-ils penser par eux-mêmes après ça, ils ne sont pas avec un auteur ou contre, ni pour une idée, ni contre. En définitive ce manque, ça ne leur apprend qu'une chose, à se taire et à vivre dans un monde qui se tait, tout comme l'eau qui dort. Le moindre souffle, la moindre parole qui sort de l'ordinaire les fait fuir. C'était ça les paysans ici, et à peu de chose près c'est encore ça, car s'il y a eu ces changements c'est uniquement d'un point de vue matériel, pour le reste ils sont toujours les mêmes : la conversation, la participation, tout simplement être contre et le dire si on le pense, ça ils ne le connaissent pas. On peut dire que c'est l'Eglise qui est responsable de cet état d'esprit, elle a eu une emprise formidable sur les gens et elle les a marqués. Par la suite ce fut le patriarcat qui prit le relais, le père était le chef incontesté de la famille, on lui obéissait au doigt et à l'œil et le chef lui-même se pliait aux lois de l'Eglise et l'Etat. C'est vrai que les instituteurs sont tous fautifs de ce qui se passe dans les écoles, c'est eux qui ont la possibilité de changer la mentalité des gosses, de leur ouvrir l'horizon et de faire en sorte que le monde change. 

 

… Dès que j'ai su lire je me suis mise à dévorer les bouquins. Tout y passait… Il faut dire que dans un village comme le nôtre le choix était limité, mais j'avais toujours un livre dans les mains. Je lisais partout où je me trouvais, en me levant, dans la cuisine et pendant les récréations. J'avais un instituteur, ça le rendait malade de me voir lire pendant que les autres enfants jouaient, ça le mettait dans tous ses états. Il s'approchait de moi, il venait par-derrière et il m'arrachait mon le livre des mains disant : « Allez, va jouer avec les autres, t'as bien le temps de lire plus tard. » Moi je pleurais, je trépignais, je réclamais mon livre, il fallait que ce soit sa femme qui intervienne, elle était plus compréhensive, elle lui disait : « Mais rends-lui donc son livre, elle ne fait de mal à personne », et moi je disais : « Vous savez bien que je ne peux pas lire chez moi, il y a trop de chose à faire, il n'y a qu'ici que je suis tranquille. » Finalement il me le rendait et je me replongeais dans la lecture. 

 

A qui profite le progrès ?

Pourquoi des journées de 8 heures ?

On pourrait supprimer le chômage en ne faisant que des journées de 4 à 5 heures et employer tout le monde. Apprendre à vivre très simplement : une table, quatre chaises, un lit, cela suffit à apprendre à profiter de nos loisirs, s'approcher le plus possible de la nature. Apprendre à lire, car lire c'est se fortifier l'esprit avec l'esprit des autres, s'imbiber le coeur de sentiments qui vous agrèent, c'est lutter avec un auteur suivant que nos idées ou nos sentiments s'accordent avec les siens ou s'en séparent.

Apprendre à vivre en sachant vivre et laisser vivre. Ne prendre dans la vie que les fleurs, des fleurs le parfum, laisser tomber cette religion qui a le plus d'adeptes, je parle de la religion de l'argent.

 

… Mon père s'occupait de Marie (sa petite-fille). Je venais aussi souvent que cela m'était possible, mais pendant les mois d'hiver, avec la neige, c'était difficile. Je restais absente une semaine, parfois deux, et mon père seul avec cette fillette se débrouillait comme il pouvait. Par les temps froids la gosse portait une robe de laine, une grosse laine sèche et rêche comme une râpe, et lui ne voulait la déshabiller ni l'habiller, il la laissait comme ça, sans la changer pendant des semaines, avec la même robe, la même chemise, la même culotte et, quand je revenais, mon père me disait : « Je ne peux pas, je lui enlève ses chaussures, c'est tout ce que je peux faire. » Il y avait de la pudeur là-dessous, c'était un homme de l'ancien temps, et pour lui, une fille, fût-elle sa propre petite-fille âgée de trois ans, restait un domaine interdit. La nudité devait lui faire peur. Il appartenait à cette génération qui avait connu les longues chemises de chanvre que l'on ne quittait jamais, même entre époux, même au moment de faire l'amour… Un trou, le pertuis, pratiqué à hauteur du bas-ventre permettait de procéder aux opérations nécessaires sans jamais dévoiler le corps. Je crois bien que mon père n'a jamais vu un corps de femme, et évidemment, celui de Marie lui faisait peur tout autant que n'importe quel autre. 

 

… J'avais autant appris par la vie que par les études, c'est la raison pour laquelle je n'ai jamais pu juger mes élèves uniquement sur le résultat de leurs devoirs, mais aussi sur la manière dont ils se comportaient dans la vie de tous les jours. Par exemple, je ne leur ai jamais caché que tous autant qu'ils étaient ils n'échapperaient pas à la réalité sociale et que, au bout du compte, ils devraient travailler pour gagner leur vie. 

  

Mon père et ma mère s'étaient unis par raison, sous la pression des familles, un contrat d'intérêt en quelque sorte. Si ma mère n'avait écouté que son cœur, si elle avait pu décider pour elle-même, elle aurait épousé le jeune homme qu'elle aimait. Mais pour une jeune fille c'était à l'époque une chose impossible et, lorsque mon père l'avait demandée en mariage elle n'avait pas eu droit au chapitre. Elle avait été trouver sa marraine, la marraine c'était quelqu'un, c'était une personne d'importance dont l'autorité était reconnue et les décisions respectées. Elle lui avait demandé de la comprendre et de l'aider. Peine perdue, pour elle aussi l'affaire était entendue d'avance : « Si tu ne prends pas Joseph, lui avait-elle dit, je ne suis plus ta marraine, je ne te parlerai jamais plus de ma vie. Et pourquoi tu ne veux pas de lui? Joseph est un gentil garçon, travailleur et courageux, il a du bien, c'est le meilleur parti que tu puisses espérer. »

C'était vrai, mon père avait toutes ces qualités, mais cela ne fait pas de l'amour. La marraine appliquait la loi, car telle était la loi, les filles à marier devaient accepter sans broncher, le mari que d'autres avaient choisi pour elles. C'était une question d'alliance et d'intérêts familiaux. La plupart du temps les hommes décidaient entre eux sans demander l'avis de personne. Quand ils se rencontraient dans les foires, ils discutaient de leurs affaires, ils parlaient de l'avenir… Pour eux, les sacs d'avoine, l'élevage des porcs, la tonte des moutons ou les contrats de mariage, c'était la même chose, ils mettaient tout dans le même sac.

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