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06/04/2012

Conflit de générations

Conflit de générations 

 

Variation sur une idée originale de Clark Ashton Smith

Hommage et clin d'œil signé : Kurgan Khan ( 2009 ).

 

 

La faim le torturait, nouant tout autant ses tripes que ses muscles endoloris par la transformation. Il lui semblait ne plus avoir véritablement mangé depuis un mois – voire tout un mois de mois !? La viande du boucher, même crue, n'était jamais assez fraîche : c’était une viande sans vie, une viande qui avait connu les froids baisers de la mort et de la réfrigération… une chair qui ne contenait plus la moindre étincelle de chaleur animale. Et les souvenirs d’anciennes bombances, arrosées d'un sang frais et bouillonnant ne faisaient qu’exaspérer sa voracité.

Le chaos avait envahi son esprit, où se bousculaient pulsions bestiales mêlées de souvenirs humains ; et presque inconsciemment, durant ces brefs instants d’égarement qui suivaient toujours la métamorphose, il se souvint des premiers symptômes de son… évolution. Il se souvint de ce dégoût progressif envers la viande cuite, puis de cette aversion subite envers les fourchettes et cuillères en argent. Une aversion qui s’était rapidement étendue à quasiment toutes les formes naturelles de métal… avait même fini par le pousser à refuser qu’on lui rende la monnaie, lorsqu’il faisait ses menus achats quotidiens. 

L’argent… le métal… la monnaie… qu'est-ce qui avait bien pu lui faire penser à de telles vétilles en un si jouissif moment de sauvage liberté !? Le simple fait de visualiser ces… ces « choses » le mena au bord de la nausée, et lui fit grincer les dents de dégoût.

Puis la faim revint… submergeant tout.

Il poussa ses vêtements sous les buissons et, se servant alternativement de son museau et de ses pattes maladroites, les dissimula du mieux qu’il le pouvait. Car si la lumière de la lune agitait les marées de la folie dans son sang et le forçait à la métamorphose… elle ne devait en aucun cas trahir à quelque passant chanceux les vêtements dont il aurait besoin plus tard, lorsqu'il aurait à nouveau revêtu apparence humaine.

La nuit était chaude et sans le moindre souffle de vent, comme si la nature elle-même, effrayée par sa propre création,  se retenait de respirer à son approche. Il était – bien sûr – tout à fait conscient qu’il y avait peut-être d'autres monstres à l'affût non loin de là ; même en ces premières années du vingt-et-unième siècle.

Les vampires avaient eux aussi survécu, plus subtils et plus mortels que jamais… protégés par l'incrédulité des hommes. Et lui-même n'était pas le seul lycanthrope : ses frères et sœurs parcouraient le monde ; sans égaux. Mais les jeunes préféraient les jungles urbaines, grouillantes de proies… tandis que lui, l’enfant de la campagne et des siècles révolus, préférait les anciennes méthodes : la chasse au cœur même de cette nature à qui il devait tout. Il savait également que les dernières décennies, chimiques et nucléaires, avaient donné naissance à d'autres monstres… encore inconnus des mythes et des superstitions. Mais eux aussi préféraient rôder dans les cités, et il y avait – au final – bien peu de chances que quelque autre créature de la nuit ne vienne empiéter sur « ses terres ».

Il en était le Roi… le seigneur absolu et incontesté. 

Il s’enfonça dans la forêt, suivit un sentier tortueux dont il connaissait les moindres détours, pentes et recoins, aussi bien qu’il connaissait les escaliers, réduits et couloirs de son antique demeure. Puis, le sentier venant à croiser un plus large chemin, il se dissimula dans l'ombre d'un large chêne gonflé de gui. Il savait que ce chemin était souvent emprunté par quelques promeneurs tardifs revenant d’une quelconque cueillette ( fleurs, fruits, champignons… chaque saison lui offrait avec une égale tendresse son lot d’inconscients ) et que l'un d'eux pouvait apparaître à n'importe quel moment.

Il savait que l’heure était venue, pour lui, de faire sa propre cueillette !

 

* * *

 

Geignant doucement, tel un molosse affamé, il se mit à l’affût. Il était une créature de la nature et, en tant que telle, prêt à obéir au premier – et plus incontournable – commandement de celle-ci : tu dois manger pour vivre… et donc tuer pour manger ! Il était une créature de terreur… une fable déjà chuchotée autour des feux dans les cavernes préhistoriques… un métissage que les mythes plus tardifs, définirent comme issu des pouvoirs de l'enfer et de la sorcellerie. Mais d'aucune manière il n’était apparenté à ces monstres « hors nature », cette progéniture d'une magie nouvelle et plus noire encore, qui tuaient sans être affamés… et par pure malveillance.

Il n’attendait que depuis quelques minutes lorsque ses sens aiguisés de prédateur perçurent ce qui était encore inaudible… la lointaine et familière « vibration » produite par une proie en approche. Puis ses oreilles dressées perçurent nettement le bruit de pas, et ses narines des odeurs entre-mêlées de tabac, de cuir et… et de gaz d’échappement !?

Un citadin égaré… ici ?

Les pas s'approchèrent rapidement. Ils étaient fermes et persistants, infatigables et rythmés, révélateurs de la jeunesse ou d'une pleine maturité que l'âge avait laissée indemne. Ils parlaient avec certitude d'une proie digne d'intérêt… d'une viande ferme et d'un sang vital abondant.

L'écume monta doucement aux babines de celui qui attendait. Cessant de geindre, il se ramassa sur lui-même, prêt à bondir.

S'avançant rapidement, le marcheur émergea des ombres qui drapaient le sentier. Il semblait incarner à la perfection tout ce que la créature avait évalué à partir du son de ses pas. Il était grand, large d'épaules et avançait d’une démarche souple et assurée, qu’on devinait immédiatement issue d’un ajustement parfait de tendons et de muscles puissants. Il s’engagea sur une portion du chemin baignée de clarté lunaire et le guetteur s’aperçut qu’il était entièrement vêtu de cuir noir et chaussé de lourdes bottes comme en portent les motards.

Les odeurs de gaz d’échappement et de caoutchouc brûlé qu’il dégageait brûlèrent désagréablement les sinus de la chose tapie dans les ténèbres. L’homme était très certainement un « biker », un de ces durs façon « Hells Angels » dont la veste de cuir se hérissait de pointes métalliques de toutes tailles ( y’en avait-il assez pour… non ! Cela ne l’arrêterait pas, plus maintenant ! ) et, chose étonnante… il portait des lunettes noires ! ( Des lunettes noires… en pleine nuit !? )

Des « miroirs » sur lesquels la lune se reflétait, donnant l’impression que les yeux de l’homme brillaient au travers du verre. L’homme avait un visage aux traits agressifs, comme taillé à coups de serpe par un sculpteur amateur… et ses pas résonnaient avec l'assurance de celui qui n'a rien à craindre et qui n'a jamais rêvé aux créatures des ténèbres ; prêtes à bondir.

Il était à présent pratiquement à la hauteur de la cachette de celui qui guettait… et ce dernier ne put attendre davantage. Il bondit de son guet-apens d'ombres, sautant à la gorge du marcheur, propulsé vers le haut par la redoutable puissance de ses pattes arrière.

Son attaque était imparable… comme d'habitude.

L'étranger bascula vers l'arrière, affalé et impuissant, comme tous les autres, et l'assaillant se pencha vers la gorge dénudée… attirante comme celle d'une sirène.

Le choc et la consternation le firent instantanément se relever…

Le forcèrent à reculer… sur des jambes vacillantes.

Des « jambes » !?…

C'était sûrement le choc… la surprise… qui l'avaient forcé à se transformer à nouveau, en un éclair… à reprendre sa forme humaine avant l’heure. Et tandis que s'achevait le changement, qu’il reculait en titubant, il cracha plusieurs crocs brisés… puis des dents humaines.

L'étranger se releva lui aussi, apparemment inébranlable et ne semblant même pas troublé. Il porta lentement une main à sa gorge… écarta du bout des doigts les bords déchiquetés de la blessure… et la lune y fit briller les câbles et les tendons faits de titane et d’adamantium.   

– « Qui… qu… qu'es-tu donc ? » Demanda le loup-garou d'une voix blanche.

L'étranger ne se donna pas la peine de répondre. Mais tandis qu’il se remettait à avancer, son cerveau à demi cybernétique lui transmit un message simple, traduit du binaire en une nano-seconde : « Non-humain… animal… dangereux… tuer animal et trouver Sarah Connor »…

« Trouver Sarah Connor ! »

 

Kurgan… d'après Clark Ashton Smith.

 

* * *

 

Parue dans : « L’écho des espaces du Dehors N°2 »

>>> http://dieunaussprechlichenkulteneditions.hautetfort.com/archive/2012/04/06/l-echo-des-espaces-du-dehors.html

 

 

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